Insuleur
Réseau
des Chambres de Commerce
et d'Industrie
Insulaires
de l'Union Européenne
   

Un 'Manifeste' des îles de l'Europe

Le 31 mai 2005, une délégation d'Insuleur a présenté à la Commission et au Parlement Européen le " Manifeste des Chambres de commerce et d'industrie insulaires de l'Union européenne ". Une fois encore, mais sous une forme plus incisive, le Réseau Insuleur a demandé la reconnaissance effective des facteurs environnementaux constituant un obstacle au plein développement des Régions insulaires, et a souligné la nécessité qu'elle soit suivie d'un engagement politique et normatif capable de garantir aux entreprises insulaires la parité de conditions.

A travers ce document politique, le Réseau des Chambres de Commerce insulaires a formellement sollicité une révision des politiques de cohésion et un soutien au développement des entreprises insulaires par l'introduction de mesures spécifiques et permanentes.

La présentation du Manifeste a été fortement voulue par le Conseil d'administration de l'association, présent au complet aux côtés du Président Romano Mambrini lors des rencontres à Bruxelles, dans un moment important et délicat pour le futur des Régions les plus fragiles de l'Europe : l'approbation par le Parlement Européen de la proposition présentée par la Commission sur le Règlement général pour les fonds structurels (période 2007-2013) était fixée au 8 juin.

De plus, la cérémonie a eu lieu au lendemain du brusque ralentissement du processus de ratification du Traité sur la Constitution Européenne à la suite du " Non " du référendum français.

Les résultats du vote en France et l'attente des résultats aux Pays-Bas ont influencé le débat lancé par Insuleur sur la réforme de la politique régionale européenne et, en particulier, sur la proposition de Règlement pour les Fonds structurels élaborée par la Commission. Ont participé au débat deux ministres (le grec Aristotelis Pavlidis et l'irlandais Eamon O'Cuin), le député européen Kostantinos Hatzidakis, et les représentants du Comité Economique et Social (Henry Malosse), de la Direction Générale de la Politique Régionale (Anastassios Bougas) et de la Conférence des Régions Périphériques Maritimes (Didier Hache).

Les difficiles événements de ces derniers mois marquent-ils le début d'une crise de l'Union Européenne et de son processus d'intégration ? Ou bien les changements de direction en cours peuvent-ils être interprétés comme un signal de renouveau d'un ordre institué il y a 50 ans et qui n'est plus en harmonie avec son époque ? Sommes-nous en présence d'une Europe prise au piège du passé, ou d'une Europe consciente de son avenir et des réformes nécessaires pour garantir une cohésion économique et sociale effective ?

Peut-être, a affirmé le président Romano Mambrini, à la lumière des événements les plus significatifs de ces dernières années, comme l'élargissement aux dix nouveaux pays de l'Est de l'Europe et le processus constitutionnel en cours, " est-il nécessaire d'accorder une attention plus grande au principe de solidarité et à son sens actuel, pour que les Etats de l'Union Européenne ne laissent pas passer la très importante chance de devenir enfin les Etats Unis du vieux continent " .

Lors de la journée consacrée aux revendications insulaires, le Président Mambrini a déclaré que " les îles de l'Europe ne demandent pas de demeurer encore parmi les régions bénéficiaires des fonds de l'Objectif 1 ou de l'Objectif 2. Ce qui est nécessaire et urgent, c'est un Objectif îles, un ensemble de normes et de mesures capables de donner à nos régions l'égalité des chances pour qu'elles soient compétitives sur les marchés et stimuler ainsi la croissance des petites et moyennes entreprises, accompagné d'une révision de la clause sur les aides d'Etat " .

Henry Malosse, malgré le " Non " de la France au Traité sur la Constitution, a confirmé son enthousiasme pour la nouvelle Constitution, au travers de laquelle " a été introduit pour la première fois de façon positive le concept de cohésion territoriale. Le refus français est cependant porteur d'une grande incertitude. S'il est renforcé par des positions analogues d'autres Etats membres, il pourrait représenter un arrêt du processus de renouvellement déjà entamé, avec d'évidents inconvénients pour tous les citoyens européens, étant donné que la Commission elle-même oublie souvent que les aspects économiques conditionnent la vie de millions de personnes " .

Il faut au contraire miser sur la reconnaissance par la Commission de la Charte des Droits fondamentaux de l'Union Européenne, qui définit l'ensemble des droits civiques, politiques, économiques et sociaux des citoyens européens, y compris pour les citoyens des îles. " Nous voudrions être les gardiens de cette Constitution, qui tient compte des diversités et des droits de tous les citoyens de l'Union Européenne, a jouté Henry Malosse. Il ne faut pas perdre de vue l'objectif principal de l'Union : assurer une plus grande participation des citoyens aux politiques européennes plutôt que de garantir exclusivement la réalisation d'un marché libre " .

C'est avec cet objectif à l'esprit que le CESE (Comité Economique et Social Européen) a rendu un avis sur le thème " Vers une plus grande intégration des Régions sur lesquelles pèsent des désavantages naturels et structurels permanents " , au moyen duquel on a cherché à attirer l'attention sur le besoin de solidarité envers les régions marquées par des désavantages géographiques et structurels permanents.

Plus précisément, l'avis, de façon analogue à ce que déclare le Manifeste Insuleur, et en considération de la référence explicite aux régions marquées par des handicaps structurels et permanents contenue dans l'article III-220 du Traité Constitutionnel (qui reprend l'article 158 du Traité d'Amsterdam), demande l'adoption de mesures spécifiques pour les zones insulaires, y compris dans le domaine de la fiscalité, afin de réduire le plus possible leur vulnérabilité économique et de créer une " égalité des chances " avec le reste de l'Union.

Anastassios Bougas, chef d'unité à la Direction Générale de la Politique Régionale et porte-parole de la position de la Commission sur les revendications des Régions insulaires, a confirmé que la Commission tient en haute considération et apprécie les travaux réalisés par Insuleur et par le CESE sur ce sujet. Toutefois, ceci n'empêche pas que " dans l'état actuel des choses, la Commission ne peut encore appliquer le nouveautés introduites par la Constitution, mais doit se tenir au Traité en vigueur. Malgré cette limitation, il existe la volonté de prendre en considération les difficultés des îles ".

Dans ce cadre, la proposition de la Commission est représentée par la formulation d'un " cadre permanent d'éligibilité " pour toutes les zones présentant des désavantages naturels afin de leur consentir l'accès aux ressources des Fonds Structurels.

" La proposition sur le Règlement général des fonds structurels prévoit en effet un taux de 5% , qui, même s'il est très limité, représente cependant une reconnaissance des spécificités insulaires " a précisé M.Bougas. " Il existe, de toute façon, des marges d'amélioration des interventions prévues en faveur des îles présentant des handicaps cumulés, comme, par exemple, ceux liés à la faible densité de population ou à la distance minimum de la terre ferme, dont dépendra probablement la dérogation pour les aides en matière de continuité territoriale. Au cours des prochaines semaines, on discutera des décisions d'ordre financier les plus importantes pour l'Union Européenne dans la période 2007-2013, et il sera possible, dans ce cadre, d'avoir quelque marge de manœuvre, y compris en ce qui concerne la politique de cohésion pour le bien-être des îles " .

" Il ne faut cependant pas oublier , a ajouté Anastassios Bougas, que si d'un côté, le Comité des Régions et le CESE soutiennent la cause des zones insulaires, d'un autre côté lors du Conseil Européen, quatre ministres seulement ont rappelé la condition des îles. Si l'on veut promouvoir des initiatives de réforme de la politique régionale, les Etats doivent, eux aussi, s'impliquer plus fortement en faveur des leurs Régions les moins favorisées " .

Konstantinos Hatzidakis, rapporteur pour les Fonds Structurels au Parlement Européen, a rappelé la présentation des amendements au Règlement en vue du vote du 8 juin. " Il existe un texte de compromis qui souligne le retard de développement des Régions à problèmes géographiques permanents, et demande aux Etats membres d'élaborer des plans nationaux. Les Etats ayant un territoire insulaire pourront, de plus, indiquer les diverses solutions possibles. Les Chambres de Commerce et Insuleur devront exercer la pression la plus grande sur leurs propres gouvernements afin d'obtenir une plus grande attention à ce problème " .

L'Objectif 2 propose, pour les Régions présentant des désavantages liés à l'insularité, un taux de cofinancement plus élevé que celui prévu pour les Régions qui n'ont pas de territoires insulaires. Par contre, en ce qui concerne le problème des frontières maritimes, la proposition avancée, selon M. Hatzidakis, est celle qui permet la plus grande flexibilité en terme de coopération territoriale, au sens où elle prévoit une réduction des aides d'état envers les régions ne rentrant pas dans l'Objectif 1 mais dans celui de convergence.

Mais pour les Régions à effet statistique (c'est-à-dire passées de l'Objectif 1 à celui de convergence par un effet purement statistique lié à l'élargissement de l'Union), si elles sont caractérisées par des désavantages permanents dérivants, entre autres, de la présence de territoires insulaires, il est prévu une gestion transitoire qui comprendra des actions spécifiques, propres à l'Objectif 1, et qui pourront concerner également la réalisation d'infrastructures de base (ports, transports, énergie).

Parmi les autres propositions soumises à l'attention du Parlement européen, M. Hatzidakis a rappelé celles présentées par le député Claudio Fava qui a des origines insulaires (siciliennes, pour être précis), et mène une véritable bataille pour rappeler qu' " il faut accorder une attention très spéciale aux régions insulaires de Méditerranée, étant donné que ce sont pour la plupart des régions de la zone de l'ex-Objectif 1 qui présentent un important malaise social et des taux de chômage élevés, qui ne sont pas accompagnés de mesures sociales adaptées " .

M. Hatzidakis a souhaité " pouvoir aller au delà de ces propositions, mais sans se faire trop d'illusions, car le résultat final sera, dans tous les cas, une solution de compromis entre ce que demande la Commission au titre des ressources pour la Politique Régionale, c'est-à-dire l'affectation de 0,41% du PIB, et la proposition de la Présidence luxembourgeoise qui oscille entre 0,37% et 0,38% du PIB " .

Didier Hache, secrétaire exécutif de la Commission des Iles, a répété que " les Etats membres ne peuvent rien faire pour les aides d'état, toute innovation dépendant de la Commission et de la législation européenne. De plus, on constate un déficit de dialogue entre les Directions Générales. La DG concurrence a fait des propositions qui ne satisfont pas du tout les îles et qui risquent de provoquer une distorsion supplémentaire de la concurrence. Il suffit de penser que, par exemple, pour faire un investissement dans le quartier de la Défense à Paris, le taux de financement concédé sera le même que pour un ouvrage à réaliser dans les zones internes de Corse. Conséquence : une distorsion supplémentaire de la concurrence, avec une importante différence : il n'y a pas de grandes entreprises dans les îles, et leur population représente à peine 1,5% de la population européenne. Il faut se battre rapidement, mais le résultat du référendum en France n'aide pas, et c'est pour cela que nous devons chercher des alliés auprès des autres états insulaires, comme Malte et Chypre " .

Le ministre irlandais Eamon O'Cuin a rappelé l'importance qu'ont revêtu les fonds structurels pour le développement de l'Irlande, même si pour obtenir ces résultats, il a fallu modifier la structure administrative nationale. " Les îles présentent des coûts supplémentaires, et sont affectées de désavantages spécifiques. Il faut toutefois préférer une vision politique globale des désavantages qui affectent les différentes Régions. Ainsi, le Ministère irlandais est responsable des îles, mais aussi des zones rurales, afin de prendre en compte tous les aspects de façon complémentaire. Les îles ont un rythme de croissance différent de celui des autres régions, et, pour affronter cette arythmie de la croissance, il est nécessaire d'envisager toutes les politiques de façon complémentaire. Ce n'est que lorsque l'on réussira à assurer aux îles une croissance concurrentielle par rapport aux autres régions que l'on pourra parler d'une croissance effective de l'Union Européenne " .

Aristotelis Pavlidis, ministre grec pour les îles de la Mer Egée a remercié la délégation Insuleur pour avoir organisé cette journée de séminaire. Il a attiré l'attention des participants sur un aspect souvent négligé : " La reconnaissance européenne de la condition insulaire est, pour le moment, uniquement théorique, et l'absence d'actions spécifiques est de la commune responsabilité de tous les gouvernements concernés " .

Le commissaire en charge de la politique régionale, Danuta Hubner, a reconnu que les îles méritent une prise en considération particulière, mais ceci ne suffit pas, souligne M. Pavlidis : " Il faut intervenir de façon incisive et documentée pour démontrer la nécessité d'interventions spécifiques et ciblées. On pourrait pour cela utiliser les résultats des différentes études, financées par l'Union européenne elle-même, pour démontrer l'inexistence d'un marché concurrentiel dans les Régions insulaires, et l'absence du danger de distorsion de la concurrence par le recours aux aides d'état, qui pourraient, au contraire, se révéler utiles pour éviter le processus, déjà entamé, de désertification industrielle " .

Le ministre Pavlidis a exhorté les Présidents des Chambres de Commerce présents à contacter les représentants de leurs pays respectifs à la Commission Européenne, afin de porter à leur attention les demandes des régions insulaires et les résultats des études menées au niveau européen.

Le débat engagé après les interventions prévues pour la journée, a démontré à la fois une préoccupation générale pour le résultat du vote français, expression d'un malaise diffus qui peut affaiblir le processus d'intégration européenne, et la conscience de la nécessité d'une intervention rapide au niveau politique pour soutenir des réformes capables de favoriser le développement des économies insulaires. Tous les intervenants, et avec une force particulière le Président Mambrini, s'accordent sur le fait que le pari sur une intégration économique réelle des populations des îles européennes risque de rencontrer de nombreuses résistances, mais qu'il s'agit d'une bataille qui vaut la peine d'être menée. [Tiziana Tocco]

Cet article a été publié sur le numero 3/2005 de la revue bimestrielle
de la Chambre de Commerce de Cagliari "Sardegna Economica".

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